Banana Crusade [en cours]

Encore une autre année qui commence, pensa Severus Rogue avec lassitude.

Toujours prostré dans son cabinet, le professeur de Potions de la fameuse école de Poudlard était debout près de la fenêtre, à fixer un point au-dehors. Aucune personne digne de ce nom n’aurait su dire à quoi ressemblait cette cible oculaire, mais apparemment, elle était suffisamment attrayante pour captiver l’attention d’un homme tel que notre sujet. Indéfectiblement vêtu de sa cape noire, l’ancien Mangemort se présentait égal à lui-même, égal à une chauve-souris, égal à un vampire. Triste réputation en effet, alors qu’il n’en était rien.

Regardant finalement l'heure qu'affichait l'horloge adossée au mur d'en face, Rogue décida qu’il était temps d’aller accueillir les première année qui venaient d’arriver. C'est ainsi qu'il sortit de son repaire, afin de prendre la direction de la Grande Salle dans laquelle aurait lieu la répartition des élèves dans les célèbres maisons. Des Serdaigle par-ci, des Poufsouffle par-là, des Gryffondor, à son grand malheur, et enfin, des Serpentard, histoire de remonter son moral déjà bien bas. Le pauvre ! Qu’avait-il donc fait au ciel pour mériter pareil supplice ? Mis à part tuer des mouches de sa baguette magique… rien, justement. C'est pourquoi, dans le dessein de supporter au mieux son martyr, il alla s’installer à la table des professeurs, entre Minerva McGonagall et une nouvelle tête, demeurant la seule place disponible.

Dès que tout le monde fut introduit dans la salle, Albus Dumbledore, le directeur de l’école, entama son habituel discours qui énonçait le programme de l'année, les interdictions de Rusard, ainsi qu'une cordiale bienvenue à chacun. Une fois celui-ci terminé, il laissa le champ libre au Choixpeau pour entonner une chanson de son crû. Etrangement, cette dernière parlait d’unité entre les maisons, comme si un danger menaçait la vie quasi paisible de Poudlard. Cependant, Rogue savait ce que ce présage sous-entendait. Effectivement, faisant lui-même partie de l’Ordre du Phénix, il était aux dernières nouvelles de la renaissance de Lord Voldemort, tandis que le tatouage qui ornait son bras gauche le faisait souffrir ; la Marque des Ténèbres s’était à nouveau réveillée.

Laissant ce menu détail de côté, notre sujet vit la directrice de Gryffondor se lever, puis appeler un à un les élèves de première année. Le Choixpeau sur la tête, il désigna à chacun d’entre eux la maison à laquelle ils voueraient leur loyauté et celle qui correspondait le mieux à leur personnalité propre. Cette tâche accomplie, le mauve mage reprit la parole pour demander à la « nouvelle tête » de le rejoindre. Il s’agissait d’une femme à tête de crapaud, fort peu à son avantage, qui appartenait au Ministère. Son nom : Dolorès Ombrage. Cela voulait tout dire. À renfort de « Hum, hum », elle parvint à attirer l’attention de tout le monde et commença un prêche... ennuyeux à mourir. Par conséquent, le professeur de Potions faillit se décrocher la mâchoire, tant son bâillement fut grandiloquent. Quelques collègues se retournèrent afin d'assister au spectacle, étonnés de le voir si expressif. Mais bon, un petit écart pouvait bien lui arriver de temps à autre, du moment qu’ils ne lui en faisaient pas la remarque.

Et les récurrentes formalités s'achevèrent enfin. Les préfets fraîchement élus prirent sous leur coupe les première année, pendant que les quatre maisons se séparaient. Une bonne chose de faite, car le début d'année embarrassait Rogue au plus haut point. Laissant d'abord les élèves de Gryffondor, de Poufsouffle et de Serdaigle regagner leurs quartiers, il alla rejoindre les Serpentard. Cette action réalisée, il leur donna quelques explications concernant les choses à savoir, puis passa le relais à Drago Malefoy et Pansy Parkinson, les « chefs », afin de poursuivre la visite de l’école et des cachots qui leur étaient réservés.

Finalement, le maître de Potions s'en alla en direction de son bureau. Arrivé à destination, il s’y posa quelques minutes, dans le but de faire le vide, parce que son jus de citrouille, affublé de la compagnie du professeur Ombrage, lui était resté coincé en travers de la gorge. Déglutissant avec effort, il soupira bruyamment et prit pour cible le cachot, lieu de ses cours. Par malheur, il allait devoir prodiguer ses précieuses leçons aux Gryffondor de cinquième année ! Pour quelle raison avait-il la malchance de tomber sur ce trio d’imbéciles que formaient Granger, Weasley et… Potter ? Décidément, le destin s’était mis dans la tête l’idée de s’acharner contre le Prince de sang-mêlé ; alors, histoire de faire passer plus facilement la pilule, il se défoulait sur ces arrogantes créatures qui suintaient la bravoure factice, caractéristique de leur maison.

Ouvrant enfin la porte, Rogue tomba sur une classe parfaitement silencieuse, à sa grande satisfaction. Il savait que les élèves le craignaient, c’est pourquoi ils se taisaient tout le temps à son entrée. Et c'est ainsi que put débuter la première heure de l'année. Ceci dit, le professeur de Potions fut bien vite dérangé par une chose. Quelque événement le tracassait, néanmoins il n’en laissa rien paraître ; pour l’image. En effet, une mystérieuse odeur de banane s’était présentée à l’appel, alors qu’elle n’avait rien à faire dans son illustre cours, pensa-t-il d'un air renfrogné.

Se disant après coup qu’il était ridicule de s’offusquer à cause d’une simple odeur, Rogue reporta son attention sur des élèves qui le regardaient d’un air fasciné, voire ahuri pour certains. Effectivement, leur professeur avait montré des signes d’agacement envers une chose qu’ils n’avaient pu percevoir et cet état de fait leur parut bien étrange. Depuis quand l’ancien Mangemort exprimait-t-il sa contrariété à l'égard d'un événement aussi quelconque, s’ils n’avaient été capables de le remarquer ?

Suite à une constatation faite sur la tête de ces idiots de Gryffondor — les Serpentard étant bien plus intelligents —, Severus se rembrunit, puis claqua la lourde porte derrière lui ; certains élèves sursautèrent alors, sous le choc. Venant finalement se placer devant son auditoire, il écarta ses mains l’une de l’autre, préalablement serrées, et commença doucement à sourire ; un rictus cruel venait de se dessiner sur ses lèvres. Il exultait intérieurement, parce qu'il avait le contrôle de tout ce qui se passait, en bref… de la situation. Après quelques instants, le professeur de Potions prit enfin la parole :

— Voici une nouvelle année qui débute et qui, je l'espère, verra son niveau s'améliorer par rapport aux précédentes... plus particulièrement concernant une partie de la classe. En effet, celle-ci nous démontre avec brio que son quotient intellectuel talonne de près celui des moustiques.

À cette réplique, Hermione Granger s’agita sur son siège. Selon toutes les apparences, les dires de Severus Rogue l’avaient sévèrement atteinte. Tandis que celui-ci, aise de l’effet qu’il avait produit chez les protégés de Dumbledore, continua sur sa lancée :

— En outre, cette cinquième et importante étape de votre parcours aboutira sur les examens de B.U.S.E., au mois de juin. Il serait donc souhaitable, ajouta-t-il à l’adresse des Gryffondor, que vous travailliez brillamment durant cette année. Au moins pour obtenir un « Acceptable », sinon vous êtes pleinement conscients des conséquences qui en résulteraient : mon mécontentement. Me suis-je bien fait comprendre ?

Les élèves ainsi visés hochèrent la tête, en signe d’assentiment. À dire vrai, si Rogue n’était pas un maître exécrable, personne ne savait ce qu’il était. Cependant, ce dernier n’avait pas encore terminé son discours si peu engageant à l’égard des Gryffondor, qu'il reprit :

— Ensuite, au sujet des étudiants qui ont décidé de poursuivre leur cursus scolaire jusqu’aux A.S.P.I.C., soyez informés du fait que je serai votre professeur de Potions jusqu’à votre sortie de Poudlard. Quant aux autres, nos chemins se séparent à l’issue de cette cinquième année.

Un vague murmure parcourut les rangs et plusieurs jeunes sorciers sourirent. La perspective de ne plus avoir Rogue déambulant dans la classe allégea le cœur du trio, laquelle augmenta d’un cran leur humeur.

Pendant ce temps, les instructions de la potion à préparer furent inscrites au tableau. Les élèves se levèrent donc, puis allèrent chercher les ingrédients, ainsi que les chaudrons, dans l’armoire prévue à cet effet. Revenant enfin à leur place, ils s’exécutèrent prestement.

Se baladant entre les bancs, le Prince au sang-mêlé observa les Gryffondor et les Serpentard œuvrer, tandis qu’il passait devant Londubat. Après un coup d'oeil jeté sur sa mixture, le professeur lui lança :

— Décidément, je ne serai arrivé à rien avec vous. Que tentez-vous de faire en touillant cette monstruosité ? Une bouillie pour nourrir votre inestimable crapaud ?

À l'acerbe critique, les protégés de Rogue — Malefoy et Parkinson, en particulier — hurlèrent de rire ; la langue du maître avait encore commis un méfait. L’âme en peine, Neville baissa la tête d'un air apeuré. Sa voisine Hermione, n'en pouvant plus d'être témoin d'un tel spectacle, attendit que le fauteur de trouble ne s’éloigne afin d’aider le pauvre jeune homme. Pourquoi cet individu au nez crochu devait-il toujours s’en prendre à eux, les Gryffondor ? se demanda-t-elle soudain avec rage. En effet, l’ancien Mangemort ne laissait personne indifférent, notamment la fougueuse jeune fille. Et pour quelle raison, justement ?

En remuant la décoction de Londubat, Granger vit une chose étrange se produire. Le liquide qui reposait au fond du chaudron, au lieu de virer à l’argent et d’atteindre un état pratiquement vaporeux, devenait plus solide à mesure que le mélange s'effectuait, alors qu'une forme peu commune faisait son apparition. Précédemment rouge, la couleur avait tourné au jaune et le contour se précisait ; l'objet dont il était question ressemblait de plus en plus à une demi-lune, voire à une banane. Perplexe, Neville demanda en chuchotant à Hermione ce que cela pouvait bien être, mais celle-ci affichait la même expression que lui. Fait encore plus invraisemblable, le « fruit » se multiplia, puis se mit en devoir de sortir de son domicile ; il y avait réellement de quoi se gratter la tête.

Rogue, qui était repassé par-là, constata l’étrange phénomène. Pour une fois, il adopta un air confus, troublant de sincérité. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'une chose jaune se jeta sur lui ; elle semblait folle de rage. Assez agile, le professeur l’esquiva afin de la laisser foncer droit dans le mur d’en face. Le fruit alla s’y écraser dans un bruit plutôt gras. Vraiment déconcertant. Après l’odeur suspecte, voilà qu’une banane s’attaquait à lui. Quelle était donc la signification de toute cette gabegie ?

Bien heureux fut le cachot, car il n'y eut pas de bananes belliqueuses en supplément. Les autres, aussitôt sorties du chaudron de Londubat, étaient mortes une fois à l’air libre. Comme le premier assaut demeurait un fiasco total concernant le camp fruitier, ce dernier ne lança plus d'offensives. Pourtant, il faut toujours se méfier de l’eau qui dort, tel que se plaisait à dire le proverbe.

Ne prêtant désormais plus attention aux fruits guerriers, Rogue tourna son regard vers Neville ; l’air qu’arborait le premier n’annonçait rien de bon pour le second. Après un moment de silence, le vil personnage ouvrit la bouche dans le but de dire doucement :

— Allez donc me nettoyer ce mur. Vous trouverez dans l’armoire de quoi effacer les dégâts causés par votre stupidité légendaire. Grâce à cela, j’enlève cinquante points à Gryffondor. Ensuite, vous viendrez me voir à la fin du cours.

L’élève en question ne put que s’exécuter, pendant que le professeur de Potions crachait sur un ton peu distinct :

— C’est bien d’un Londubat pour faire pareille sottise.

En effet, il fut le seul être sur terre à se comprendre ; les autres microbes avaient seulement entendu un vague grognement. Puis le maître, outré par semblable affront, se chargea de récupérer le chaudron coupable avant d'aller à son bureau, afin d'en examiner le contenu. À en juger par l’odeur, la plupart des ingrédients indispensables à l’élaboration de la potion avait été utilisée, c'est pourquoi il ne concevait pas un tel revirement.

Décidé à percer ce mystère à jour, Rogue chercha dans son tiroir une spatule, ainsi qu’une petite pince, de manière à entamer une étude minutieuse du phénomène. Sous toutes les coutures, la chose revêtait un aspect particulier, qu’il fût physique, magique ou spirituel. Qu’avait-il été ainsi rajouté à cette préparation en vue d'obtenir ce résultat-là ? Peut-être s’agissait-il tout simplement d’un oubli ou d’un sortilège.

Suite à un examen complet, le maître tira une permière conclusion : l’imbécile de Londubat avait oublié de mettre des griffes râpées de harpie. Néanmoins cela n’expliquait pas réellement la métamorphose de la potion en fruit vengeur ; en temps normal, elle aurait seulement viré au violet. Alors, il opta pour l’hypothèse du sort, mais le Gryffondor, vu son niveau, n’était pas capable d’en produire un de la sorte ; il n’était qu'un simple sorcier de premier cycle.

Guettant également les alentours, le regard de Severus tomba sur l’élément féminin du trio de cloportes. Comme Hermione Granger avait la dérangeante manie de lire plus de livres qu’un bibliothécaire, elle aurait très bien pu, par une somme accumulée de connaissances, lancer un sortilège sur le devoir. Toutefois, cette spéculation sonna bien vite ridicule à ses oreilles. Par nature, la jeune fille aidait les âmes en détresse et ne cherchait pas à les pénaliser, c'est pourquoi il était parfaitement illogique de penser qu’elle fut l’auteur d’un pareil méfait. Mais…

Après avoir trituré son esprit aussi tranchant qu’une lame de rasoir, le professeur ramena le chaudron au malheureux bonhomme, non sans avoir préalablement prélevé un échantillon, de même que quelques bananes de la troublante potion. En effet, elle méritait une étude plus poussée encore et ce, dans le plus grand calme.

Puis le cours se termina enfin. Rogue donna alors aux élèves les devoirs à faire, à savoir : quarante-cinq centimètres de parchemin à propos de « l'expérience » du jour et des vertus de la griffe de harpie. Neville, suivant ainsi les instructions de son épouvantard, alla le rejoindre à son bureau pendant que les autres quittaient le cachot.

Tout à coup, Hermione fut hélée par la voix si peu appréciée. Elle aussi devait rester, pour d’autres raisons cependant. La jeune fille se rapprocha de Londubat et attendit avec anxiété son tour. Le « vampire » n’avait pas l’air enchanté du tout. Pauvre Neville !

— Une nouvelle fois encore, vous êtes parvenu à rater votre potion, pourtant simple à réaliser, dit le maître. C'est pourquoi, en plus du devoir que vous aurez à me remettre lundi prochain, je vous donne une retenue à laquelle vous devrez assister une semaine durant. Attaquer un professeur est grave et passible de renvoi. Vous rendez-vous compte de la situation ?

— Oui, professeur, répondit l’accusé d’un ton penaud.

À la méchante remontrance, Hermione se récria :


— Mais enfin ! Il ne l’a pas fait exprès et vous le savez parfaitement !

— Miss Granger. Il me semble que cette entrevue ne concerne que Londubat ici présent et moi-même. Je vous prierais donc de vous taire, sinon vous regretterez amèrement vos insolentes paroles, termina-t-il en faisant grincer ses dents. Cinquante points de moins pour Gryffondor.

Ainsi rembarrée, elle tint sa langue, tandis que la rage grondait au fond d’elle. Les yeux étincelants, la jeune fille continua à fixer cet homme si détestable qui reprit le fil de son discours :

— Pendant cette retenue, vous me ferez des lignes. En effet, cela vous apprendra qu’il ne faut pas agresser vos chers maîtres.

— Entendu, professeur, fit Neville.

Le garçon alla ramasser ses affaires et partit ensuite de la classe en laissant Hermione derrière lui. Celle-ci, à la demande de Rogue, s’avança doucement vers lui. Il paraissait vraiment mécontent.

— Miss Granger. Une fois de plus, vous n'avez été capable de réfréner l’envie d’aider votre prochain. Faut-il vraiment que vous agissiez en saint-bernard à chaque occasion qui se présente ? demanda-t-il, les lèvres pincées.

— Mais…

— Or, coupa-t-il, vous savez pertinemment que l'élaboration d'une potion se fait individuellement. Comment espérez-vous voir Londubat réussir son examen de B. U. S. E. si vous l’aidez continuellement ? Vous êtes consciente que la fraude se paie cher, n’est-ce pas ? En raison de votre comportement malavisé, je me vois contraint de vous mettre une retenue à vous aussi.

La sorcière, qui s’apprêtait à protester vivement devant pareille injustice, se rétracta en croisant le regard si perçant de Rogue. Il ne manquait jamais de fixer les gens dans les yeux afin de les mettre mal à l’aise.

— D’accord, professeur.

— Bien. Sachez toutefois que je n’apprécie pas les lanceurs de sortilèges, en particulier durant mes cours.

— Mais je n’ai rien fait !

— Vous sentez-vous accusée, Miss Granger ? s'enquit-il, sur un ton doucereux.

— Non ! Pas… du tout ! balbutia la Gryffondor.

— Evidemment, cela va sans dire. Vous y réfléchirez pendant votre retenue qui aura lieu toute cette semaine. Maintenant, vous pouvez partir.

Prenant ainsi congé de l’immonde personnage, Hermione attrapa ce qui lui appartenait et quitta la salle, l’humeur rageuse. Rogue, quant à lui, plaça soigneusement l’échantillon prélevé dans une petite fiole et la banane guerrière dans un chaudron, puis partit en quête de son repaire.