On dirait ton regard d’une vapeur couvert ;
Ton œil mystérieux (est-il bleu, gris ou vert ?)
Alternativement tendre, rêveur, cruel,
Réfléchit l’indolence et la pâleur du ciel.
[Sic : Ciel Brouillé – C.B.]
Chapitre 2 : Fièvre.
Alors que je courrais dans les rues grises et sinistres de La Ville, une légère bruine me mouilla le visage, bientôt suivi par une véritable averse. Je ne pris pas le temps de m’abriter, et ne descendis pas non plus dans Le Métro.
Je courais depuis que j’avais quitté La Faculté, je repensais aux mois de travail afin obtenir ce qu’il restait de ma sculpture … Qui avait bien pu la détruire platement et simplement, et surtout comment celui qui avait fait ça avait pu deviner que j’aurais un malaise pendant la Pratique ?
Toutes ces questions sans réponses, s’ajoutant à ma rage d’avoir vu mon travail réduit en une boue futile finit par me donner la migraine.
Je pris mon baladeur et le mis sur mes oreilles, aussitôt la vague de rage, d’impuissance se mua en une froide mélancolie. Le piano de Beethoven et sa Sonate au clair de lune masqua bientôt les bruits coutumiers de l’averse et de La Ville. Je ne m’arrêtais pas de courir jusqu’à ce que j’arrive à mon immeuble et monte l’escalier crasseux. J’étais à bout de souffle et un méchant point de côté me faisait souffrir. Aussi je grimpais les dix étages sans m’arrêter et arrivée sur le palier de mon appartement je glissai la clé dans la serrure rouillée, et poussai le bâtant de la porte.
Ma fenêtre était ouverte et de la pluie froide s’introduisait dans mon appartement. Je laissais choir mon sac à dos et refermais la porte d’un coup de pied. J’entrais dans la salle de bain et allumais la lumière, j’avais une tête à faire peur, de plus la lampe à halogène m’éblouit un instant. Moi et ma satanée aversion pour la lumière !
Ma peau blanche était pire que d’habitude, on avait presque l’impression que je portais un de ces maquillages de théâtres des siècles passés. J’ôtais mon pull-over et repassais dans la chambre. Je tentais de reprendre mon souffle mais même si j’étais maintenant moins sujette à des excès de rage j’étais encore trop bouleversée pour m’arrêter simplement.
Je me dirigeai vers la fenêtre afin de la refermer, dans mes oreilles le piano déversait les dernières notes du deuxième mouvement de la sonate.
Me tournant vers mon chevalet je m’arrêtais net. La toile qui ce matin encore séchait, était en lambeaux, comme si des griffes avaient déchirées et lacérées le tableau. Je dus fixer le spectacle pendant un moment, car lorsque je revenais à la réalité ce n’était plus La sonate au clair de lune qui s’échappait de mes écouteurs, mais l’Automne de Vivaldi. La colère sous-jaçente refis brutalement surface et je balançais ce qu’il restait de la toile à travers la pièce, donnais un coup de pied dans le chevalet et retournais tout ce qui avait le malheur de se trouver sur mon passage.
Quand enfin la vague de colère fut passée, ce fut une nouvelle fois la mélancolie froide et brumeuse qui m’envahit. Les cordes chantaient l’Hiver et moi je me dirigeai vers la fenêtre encore ouverte. Je me glissai doucement sur le balcon noyé sous les trombes d’eau, et m’assis, les bras autours de mes genoux, regardant résolument au dessus des toitures de La Ville. Je ne faisais pas attention à la pluie qui me trempais de plus en plus ni au vent froid qui s’engouffrait dans le champ de bataille qu’était mon appartement. Je finis par m’assoupir.
Ce fut une odeur de thé rouge qui me réveilla. J’étais allongée dans mon lit, les cheveux dans une serviette éponge, et recouverte d’un tonne de couvertures polaires. Mon corps était tout entier engourdi et j’avais de la fièvre. Je reconnus très vite Chopin qui s’était invité dans mon appartement par le biais de la radio. Ismaël, car ce ne pouvait être que lui, me tournait le dos, et était en train de verser de l’eau chaude dans ma théière cramoisie. Tout était de nouveau en place dans mon appartement, le chevalet était dos au mur, vide de sa toile.
-Tiens, tu daigne quitter les bras de Morphée, me dit Ismaël en s’approchant de mon lit avec un plateau soutenant deux tasses remplit du liquide fumant.
-Oui merci, dis-je quand il me tendit la tasse.
-Je me faisais du souci princesse, tu n’es pas venue en cours ce matin et hier tu as quitté le cours d’Art sans aucun mot.
-Je suis désolé Ismaël, mais je … j’ai été soumise à quelques contrariétés, lui dis-je piteusement.
-Dis-moi, hier qu’est-ce qui s’est passé avec ta sculpture ? Par ce que j’ai entendu des trucs assez louche.
Je lui racontais comment j’avais eut un de mes habituels malaise, et comment lorsque j’avais ouvert les yeux j’avais découvert la tête de ma statue piétinée sur le sol. Je lui racontais comment j’étais revenue à mon appartement et avais trouvé ma toile lacérée de part en part. Je lui disais encore comment je m’étais défoulée sur le mobilier et avais finit sur la terrasse.
Ismaël accueillit mon récit avec le calme qui le caractérisait, mais alors que je le remerciais d’avoir tout rangé son visage prit un air surpris et il nia avoir fait quoi que soit de plus que le thé. Je m’interrogeais, ce ne pouvais pas être quelqu’un d’autre que moi ou Ismaël qui avait rangé cette pièce, personne en dehors de nous deux n’avait la clé. Peut-être était-ce moi qui m’étais réveillée dans un état de somnambulisme, mais c’était impossible ! Avec une fièvre pareille comment aurais-je pu avoir rangé tout le bazar que j’avais mis, sans compter que tout relief de la toile avait disparu.
Nous finîmes notre thé en silence. Ismaël semblait être retourné dans son état de calme habituel. Ses yeux bleus brillaient comme à l’ordinaire d’une lueur chaude et amicale. Il brisa cependant le silence.
-Tu as vu ta famille récemment ?
Je ne répondis pas et me contentais de grogner un vague non. Cela faisait presque quatre ans que je n’avais pas vu Ana, depuis nos dix huit ans en fait. Quant à mes parents je n’avais pas vraiment de souvenir d’eux, si ce n’est des coups de téléphones, des photos et des cadeaux de noël envoyés par la poste. J’avais toujours vécu dans La Ville, son climat couvert me convenait, de ce fait je n’étais pas trop souvent éblouis par un inopportun rayon de soleil. Si je n’avais pas connu mes parents je n’avais pas non plus connu de grands-parents, mais seulement des nourrices étrangères, et pas le moindre amour pur et sincère.
-Pourquoi ? Lui demandais-je hargneusement, il savait très bien que ce sujet était plus que sensible.
Lui non plus ne répondit pas immédiatement, mais sembla replonger encore plus profondément dans sa rêverie. Il se leva au bout d’un certains temps.
-Désolé Eli’ mais je dois aller voir ma grand-mère, dit-il en rechaussant ses chaussures et en enfilant son manteau de laine blanche. Quel contraste elle avait cette couleur blanche avec sa peau de cuivre !
-Tu vas faire la causettes avec les esprits, lui dis-je en le taquinant.
La grand-mère d’Ismaël était une petite fille d’Africain venue immigrer sur le vieux continent. Elle était une sorte de sorcière-chamane d’après ce que j’avais compris des explications de mon ami.
-Non je passe le weekend chez elle, je lui tiens compagnie tu vois, dit-il d’une voix quelques peu défaite.
-D’accord …
Je ne cherchais pas à comprendre pourquoi il me mentait si ouvertement. En effet lorsqu’il mentait ou me cachait quelque chose Ismaël avait tendance à détourner les yeux. Et puis s’il y avait quelque chose qui le tracassait il m’en parlerait bien un jour, car il avait beau ne pas savoir mentir il savait parfaitement garder un secret quand il le voulait. Et dans ces moments là il valait mieux attendre que ce soit lui qui fasse le premier pas.
-Je reviens lundi princesse, ne te fatigues pas trop hein.
-T’inquiètes je me repose.
Il quitta l’appartement de son pas lent et dès qu’il eut passé la porte le sommeil m’emporta de nouveau.