Et allez, encore un. Un de plus parmi tous les autres. J'ai eu envie et je n'ai pas hésité une seconde. Je ne sais rien de lui, même pas son nom. De toutes façons, je m'en fiche. Il ne sera plus jamais autorisé à me toucher. Jamais deux fois le même. Je ne veux pas aimer et je ne veux surtout pas qu'on m'aime.
C'était hier et pourtant je ne me souviens déjà plus de son visage. Était-il beau ? Aucune idée. Probablement. Sinon je n'aurais pas eu envie. Mais de toutes façons, qu'est ce que ça change ? Absolument rien. Il n'existe déjà plus.
Deux mois sont passés et je commence à m'inquiéter. Ce n'est pas normal. D'habitude, c'est réglé comme une horloge suisse. Et là, toujours rien. Une fois, je veux bien mais là c'est la deuxième fois. Il faut que je sache. Le doute est encore pire. Enfin, finalement ce n'est pas sur. Je n'ai pas envie d'avoir la confirmation. Mais si c'est le cas, je vais devoir agir. Je ne peux pas laisser faire et attendre. Si c'est vraiment là, ça ne partira pas seul.
J'ai pris mon courage à deux mains et je suis entrée dans la pharmacie. J'ai acheté ce stupide bâtonnet et maintenant je suis devant lui, à attendre qu'il me donne la réponse. Pour la première fois de ma vie, je prie :
« Par pitié, ne me faites pas ça. Pas moi. Pas maintenant. Je ne veux pas. Je ne mérite pas ça. Si vous existez, faites quelque chose. Aidez moi, pitié. »
Ça y est, je sais. J'ai attendu et j'ai regardé. J'ai hurlé comme jamais et le maudit bâtonnet a volé dans la pièce. Tout ce qui se trouvait à ma portée est allé se fracasser contre les murs. J'ai martelé la porte jusqu'à ce que mes poings me fassent mal. J'ai pleuré de rage. Je t'ai frappé, toi que je déteste déjà. Je ne te connais pas et n'ai aucune envie d'y remédier. Vas t'en ! Sors de mon ventre ! Sois maudit !
Comment as tu osé me faire ça ? Exister en moi sans mon consentement ? Tu me dégoûtes ! Mon corps m'appartiens et je ne veux pas de toi alors vas t'en ! Je me sens dépossédée de moi même, tu essayes de me prendre mon bien le plus cher : moi. Ton intrusion est la pire chose qui pouvait m'arriver. Je te hais. Mais enfin, vas tu m'écouter : VAS T'EN !!!
J'ai essayé mais je n'ai pas pu. Arrivée devant cette porte, je savais que ces hommes et ces femmes allaient pouvoir m'aider et te faire disparaître. Mais alors que j'allais poser la main sur la poignée, je n'ai pas pu. Je ne sais toujours pas pourquoi. As tu pris le contrôle de ma pensée à ce moment là ? Tu es le diable ! Un esprit mauvais qui veut vivre et me force à lui servir d'incubateur. Mais tu as perdu. Et tu le sais.
Aujourd'hui, je suis assise devant cette horrible mixture. Ça sent mauvais et ça en a aussi l'air mais je sais que dans ce bol réside ma délivrance. Et si je le sais, alors tu le sais. J'ai trouvé la recette dans un vieux livre de grand mère, du temps où elles devaient se débrouiller seules. Je n'ai pas eu d'autre solution. Alors maintenant que je suis là, je me lance.
Cela fait déjà deux jours, et toujours rien. Je ne vois aucun changement. Me serais-je trompée quelque part ? Je ne crois pas. Alors peut être que la recette ne fonctionne pas. J'espère quand même de toutes mes forces que tu périras. Si entre la potion et mes menaces, tu t'obstines à rester, je te promets que tu vas me le payer. Je te répète depuis le début que je te hais. Je refuse que tu gâches ma vie. Je n'ai jamais voulu de toi. Je ne sais même pas comment tu as pu arriver là. J'ai toujours été extrêmement prudente, alors vas t'en.
Soudain, je sens que tu es vaincu. J'ai mal mais je sais que c'est pour mon bien. Est ce toi qui me frappe à ton tour pour te venger de la mort certaine que je t'ai infligée ? Tes élans désespérés resteront vains. Je n'ai aucune pitié pour toi, tu n'existes déjà plus.
Je saigne beaucoup. Beaucoup trop. Je commence à avoir peur. Tu te bats farouchement. Tu sais que tu as perdu et tu veux m'emmener avec toi. Mais je refuse. Je vais rester et te prouver que tu n'es rien. J'ai gagné. Tu n'auras été qu'une sorte de maladie dont je me serais guérie. Tu le sais, alors maintenant vas t'en !!
Je m'éveille d'un sommeil que je n'avais pas vu venir. Ma vue est trouble, mes mouvements lents et restreints. Je ne peux pas bouger, j'ai mal et je sens un liquide chaud sur mes cuisses. Je saigne toujours. Que se passe t-il ? Je suis terrorisée, je ne veux pas finir comme cette chose qui a surement déjà quitté mon corps. Est ce ma punition ? Pourquoi serais je punie de vouloir vivre ? Vivre seule.
J'ai de plus en plus de mal à entendre les quelques bruits autour de moi. Mes yeux sont clos et mes paupières refusent d'obéir. Je sens intensément mes poumons fonctionner mais c'est tellement douloureux que je finis par souhaiter que cela cesse. Je me sens si fatiguée. Je sens le liquide vital me bruler et je sais qu'il emporte avec lui mes dernières forces.
Ça y est, j'ai compris. La chose a gagné. Sa mort a provoqué la fuite de ma vie. Moi qui croyait être la gagnante, la chose m'a vaincue, je m'en vais.